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Contrôle des voies de procédures nationales au nom du droit à un recours juridictionnel effectif

Nicolas Jade Bitar , 9 février 2010

L’arrêt du 26 janvier 2010 rendu par la Cour de justice en grande chambre (affaire C-118/08) constitue une nouvelle application et une nouvelle étape dans le développement des principes d’effectivité et d’équivalence en droit de l’Union européenne, deux composantes du droit à un recours juridictionnel effectif.

En l’espèce, l’entreprise espagnole Transportes Urbanos cherche, devant le juge national, à se prévaloir du droit de l’Union européenne, et plus précisément d’un arrêt en constatation de manquement rendu par la Cour à l’encontre de l’Espagne afin d’apporter la preuve d’une violation suffisamment caractérisée de la directive 77/388 du Conseil en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives à la taxe sur le chiffre d’affaires par une loi nationale.

La demande de l’entreprise espagnole porte sur le remboursement d’une taxe indûment versée en application de cette loi. La demande de remboursement est refusée par l’administration espagnole au motif que le délai prévu à cet effet est expiré. Dès lors, Transportes Urbanos introduit un recours contre la décision de refus et fait valoir notamment une violation du droit à un recours juridictionnel effectif tel qu’il existe en droit de l’Union européenne. L’entreprise souligne que, du fait d’une jurisprudence constante confirmée par la juridiction suprême, les recours visant à engager la responsabilité de l’Etat sont admis d’office quand il s’agit de la violation de règles nationales, alors que l’ouverture de ceux formés au regard du droit de l’Union européenne impliquent que le requérrant ait épuisé toutes les voies de recours préalables.

Le Tribunal Supremo, cour espagnole de dernière instance, sursoit donc à statuer pour laisser à la Cour de justice l’occasion de se prononcer sur les allégations faites par Transportes Urbanos. Le gouvernement espagnol fait valoir dans un premier temps un argument d’irrecevabilité. La Cour n’est pas compétente, avance-t-il, pour apprécier de la conformité d’une jurisprudence nationale au regard du droit de l’Union européenne, dès lors que celle-ci peut être modulée à tout moment par le juge national lui-même. Cet argument est rapidement écarté, à commencer par un rappel de la jurisprudence antérieure : la Cour est habilitée à statuer sur l’interprétation des principes de droit communautaire et leur application à la règle de droit national, dont l’origine, législative, règlementaire ou jurisprudentielle, est indifférente.

L’avocat général Maduro avait dans un premier temps conclu à une absence de violation du principe d’effectivité, constatant que le recours permettant de faire valoir le droit communautaire avait des chances d’aboutir dans un délai raisonnable, avant de rechercher, dans un second temps, si la procédure espagnole respectait le principe d’équivalence. La Cour, quant à elle, débute son analyse avec la recherche d’un critère de similarité entre les deux voies de recours, préalable à l’application du principe d’équivalence.

Les arguments du gouvernement pour réfuter le caractère similaire des deux recours tiennent à leurs effets respectifs. En effet, la juridiction compétente pour examiner la loi au regard du droit national est le Tribunal Constitucional, qui peut, une fois la norme déclarée inconstitutionnelle, purement et simplement annuler la loi. Le Tribunal Supremo, qui ne dispose pas de tels attributs, ne peut qu’écarter la loi incompatible avec le droit communautaire. En définitive, une déclaration à effet rétroactif en nullité de la loi ne saurait être assimilable à des arrêts d’espèce l’écartant spontanément.

La Cour se base quant à elle, conformément à une jurisprudence établie, sur l’objet et les éléments essentiels des deux voies de recours ici considérées, pour en arriver à la conclusion qu’elles sont similaires. Par leur objet, lequel est d’indemniser l’individu victime du préjudice causé par un acte ou une omission de l’Etat, mais également pour ce qui est de leurs éléments essentiels, dès lors que la seule distinction objective entre les voies de recours porte sur le droit invocable et sa place dans la hiérarchie des normes. En effet, la Cour constate que l’arrêt en constatation de manquement a les mêmes effets que l’annulation d’une loi dans l’ordre juridique national, et que dès lors, le recours en indemnité pour violation par l’Etat du droit de l’Union européenne aurait dû être accepté aux mêmes conditions qu’un recours en indemnité pour violation de la Constitution nationale. Dès lors, ces deux contentieux sont similaires, et le principe d’équivalence s’appliquant en l’espèce est de fait violé.

Dans la continuité de l’arrêt Unibet de décembre 2007, qui avait déjà limité l’autonomie procédurale des Etats membres en matière de recevabilité, le présent arrêt constitue une application attendue du droit à un recours juridictionnel effectif tel que garanti par la Charte des droits fondamentaux (article 47) aux voies de contentieux nationaux à proprement parler. Le raisonnement suivi par la Cour est particulièrement laconique, laissant au juge un champ d’action encore large quant à la portée définitive qui pourrait découler de l’application des deux principes.


Reproduction autorisée avec indication : Nicolas Jade Bitar, "Contrôle des voies de procédures nationales au nom du droit à un recours juridictionnel effectif", www.ceje.ch, actualité du 9 février 2010.